Crédit: JulioBag

Délicieuse certitude


Je sais qu’il est là. C’est ce que je répète à Djessi.

« Ce n’est pas une chose que je peux t’expliquer. C’est une sorte de murmure telle la rosée du matin. C’est une douce certitude. C’est un susurrement à mon oreille. Je l’ai tellement désiré, d’abord avec hésitation puis chaque jour un peu plus fort. Comment je sais qu’il est enfin là ? as-tu besoin de voir le vent pour savoir qu’il existe ? as-tu besoin de voir Dieu pour savoir qu’il existe ? eh bien c’est la même chose. Voilà il est enfin là », dis-je. « Il est là. »

Elle fait une petite grimace. Me regarde et ferme les yeux pour éviter de voir la mine que je ferais quand elle sortira une de ces phrases cartésiennes. « Nous le désirons tous. Je sais à quel point tu as prié et jeûné pour. Tu sais que je t’adore et je ne veux pas te faire de peine… »

Elle sait qu’elle m’en fait déjà de la peine.

Mais je n’ai qu’elle pour me confier. Parce qu’elle me connaît, parce qu’elle me laisse être vraie. Elle m’a laissé être moi-même et ce depuis le premier jour à la maternelle lorsqu’elle ne s’est pas moqué de moi parce que je ne voulais pas lâcher mon doudoune. Elle me connaît tellement bien que plus tard, elle savait que j’avais mes toutes premières règles avant même que je ne m’en rende moi-même compte. Mais finalement même une meilleure amie ça peut vous décevoir lorsque vous vous y attendez le moins. Elle essaie de me convaincre que pour y croire j’ai besoin de preuves. Mais moi je ne veux pas. Je te parle déjà et tu me parle aussi. Je n’arrive pas encore à déchiffrer tes messages mais je sais que tu fais de ton mieux. Je refuse donc qu’un médecin ou un bâtonnet m’annonce que je me suis trompé sur toute la ligne. Je refuse qu’on nous sépare. Je prends mon sac à main et sors de chez Djessi en claquant la porte. Bien décidée à lui faire comprendre ma contrariété.

Radi Blake n’était pas un prince charmant. Du moins pas de ceux que je voyais dans les animations Disney quand j’avais dix ans. C’était un homme tout ce qu’il y avait de banal. C’était une connaissance d’une connaissance de Djessi. Nous ne nous étions jamais adressé la parole jusqu’à cette soirée. Il y’avait un boom au lycée. J’étais parée comme un sapin pour l’occasion et lui il était banal comme tous les autres jours. Il était en pleine discussion avec Tony et Georgia lorsque je fis mon entrée dans le gymnase qui pour l’occasion avait été redécoré. Il n’en restait pas moins un gymnase vu que ça sentait toujours les chaussettes et la transpiration. Dès qu’il m’aperçut, Radi murmura quelque chose à ses amis, puis ils se retournèrent instantanément dans ma direction et éclatèrent de rire. Pas un vrai rire mais de ceux qui sonnent faux. Un de ceux qui disaient « nous voulons à tout prix sortir pour blesser cette cruche ! ». Je ne répondis pas.  Je savais qu’ils se moquaient de ma robe et de mes bijoux. J’avais pourtant fait comprendre à ma mère qu’elle ne devait pas se laisser aller sur le fond de teint et le rouge à lèvre mais à voir la tête que faisais les autres, elle n’y était pas allée de main morte. Et Djessi qui pensait que je plaisais bien à ce clown de Radi. J’en étais encore à me jurer à moi-même de lui faire payer lorsque je senti un tapotement dans le dos. J’ai failli l’étrangler en me retournant. Je l’aurais probablement étranglé s’il n’avait pas souris. Un sourire certes banal mais chaleureux et vrai. Depuis nous ne nous somme plus quittés des yeux. Je l’avoue, je l’ai un peu harcelé au bout de dix ans de relation pour obtenir mon diamant qui ne fait même pas un carat mais je le porte tellement bien ce « pas même un carat »

 Parti ? Comment ça ? où et pourquoi maintenant ? pourquoi pas bien plus tard ?

Je suis la plupart du temps en colère et triste quand je pense que Ben ne sera plus là lorsque tu sortiras. Je lui parle de toi par moment. Je lui fais savoir ce qu’il rate en étant parti trop tôt. Je lui explique ce que je ressens à être seule à croire en ta présence. Je suis persuadé qu’il comprend même si elle est de l’autre côté. Ben est parti il y a six ans maintenant. Il en a bien bavé avec son cancer. Quand il n’a plus eu la force de se battre, il a déposé son arme et s’est laissé cribler par la faucheuse. Finalement, je me dis que séance de chimio, nausée, fatigue … ce n’est pas existant comme programme de journée et qu’il est bien mieux de l’autre côté finalement. Je me surprends à penser qu’il a vu la lumière éblouissante que voient toutes les personnes sur le point de partir et qu’il s’est dit « olala ! l’éclairage d’enfer ! » et qu’il s’est laissé absorber par elle. J’ai moins mal lorsque je pense qu’il est à présent vivant dans tout. Je sens sa caresse sur ma joue lorsque le vent souffle. Il est vivant dans les premiers rayons de soleil du matin. Il revit à travers le chant des oiseaux. J’ai pensé ainsi lorsque j’en ai eu assez de ressentir de la peine pour son départ.

« Qui a bien pu inventer la pastèque ? » demande ma mère. J’ai grincé et ai maugréé. « Ce n’est pas une invention, c’est un fruit et c’est une création de Dieu » c’est bien ce que je disais ! retorqua-t-elle.

Ce n’est pas toujours que j’ai la force de contredire maman. S’il y’a bien quelqu’un qui sait à quel point elle peut être casse pieds c’est moi. Nous ne sommes jamais d’accord sur rien. Et avec ça elle pense que nous sommes le yin et le yang et que nous formons le parfait exemple d’une famille équilibrée. Qui a dit qu’un homme amputé d’un pied était en équilibre lorsqu’il tenait debout. Bon il est en équilibre lorsqu’il s’appuie sur une béquille. Dieu sait que j’en ai connu moi les béquilles de maman. Chaque semaine elle s’en trouvait un tout neuf. Pas toujours beau mais toujours est-il qu’elle se sentait au moins en équilibre avec chacune de ses béquilles. Il ne fallait tout de même pas trop prendre ses aises parce que maman est du genre à se lasser très rapidement. La seule personne dont elle se vente de ne jamais se lasser c’est moi. A-t-elle le choix ? maman et moi avons néanmoins plusieurs points communs Nous aimions toutes les deux le poulet panné. Maman en fait tout le temps. C’est d’ailleurs la seule recette qu’elle connaisse par cœur. Nous avons découvert que nous aimions toutes les deux Indiana Jones et Dalida. J’ai découvert que nous aimions toutes les deux un homme qui n’a jamais voulu faire partie de nos vies : son altesse monsieur mon père. A ce qu’il paraît il a décampé avant même que le second trait ne sois assez visible sur le bâtonnet. Je ne savais pas. Je pensais le détester. Je pensais ne vouloir rien savoir de lui. J’étais que c’était mieux pour nous ainsi ; maman, moi et ses innombrables béquilles. Et j’ai compris que je me trompais lorsque j’ai surpris maman en larme dans la salle de bain avec l’unique photo de lui qu’elle n’avait pas eu le courage de brûler. Alors oui maman et moi partageons une complicité tacite. C’est pour cela que depuis mon arrivée chez elle, je ne tiens pas en place. Je me demande si je dois lui dire pour toi. J’ai peur qu’elle réagisse comme Djessi.  » Maman, je crois être enceinte « , dis-je.  » Je le sais, j’attendais juste que tu te décides à me l’annoncer ! « . J’étais tenté de lui demander comment elle l’a su puis j’ai fini par me dire à moi-même « les mamans peuvent sentir ces choses » nous avons sauté dans tous les sens pendant quelques minutes et je lui ai proposé de m’accompagner chez le gynéco.

Combien de temps ai-je bien pu dormir ? Il n’y a pas de Radi dans les parages lorsque je me réveille. D’ailleurs je ne me rends pas tout de suite compte que cette chambre n’est pas la nôtre jusqu’à ce qu’une infirmière y déboule. Je remonte instinctivement le drap. Elle me sourit. Je ne lui rends pas son sourire.

– Où suis-je ?

– A la clinique Biassa

– Qu’est-ce que je fais là ?

– Le médecin viendra vous parler dans quelques instants

– Le médecin ? mais pourquoi ? où est ma mère ? où est mon fiancé ?

– Calmez-vous madame.

– Ne me demandez pas de me calmer.

Dès que j’aperçois l’homme en blouse, je suppose que c’est le docteur et me tourne vers lui.

– Vous êtes enfin réveillé, dit-il.

– Oui, qu’est-ce que je fais ici ? est-ce que mon bébé va bien ?

– vos collègues vous ont trouvé dans un état second hier matin, répond-il.

 Il y a le silence.

– Qu’entendez-vous par état second ? Je demande.

– Vous étiez persuadé d’être enceinte et vous exhibiez un billet de loterie en prétendant que c’était un cliché de l’échographie. Répond-il avec hésitation.

– Et donc ? 

– Sophie, vous n’êtes pas enceinte. Vous ne pourrez jamais l’être malheureusement. 

Et ça reprends, ils ne me croient pas.

– Ma mère, elle s’en est rendu compte. Où est ma mère ? appelez mon fiancé maintenant !  dis-je en larmes

– Sophie vous devez vous calmer 

– Non je veux sortir d’ici ! j’hurle à présent.

L’infirmière m’injecte quelque chose dans le cou. Je résiste. Ils appellent à l’aide. Je me sens de plus en plus faible et je ferme les yeux. Je m’approche d’une porte et dès que je la pousse je te vois allongé dans ton berceau. Comme tu es beau mon ange, comme tu es beau mon bébé. Je crois que le mieux c’est que nous restions ici. Rien que toi et moi.

Délicieuse Certitude

Partagez

Auteur·e

Commentaires

roger ANI
Répondre

L'art, quelque soit sa forme, doit procurer des émotions. Nos larmes nous délivrent sans nous faire honte.
Le poignard de l'auteur m'a, personnellement, atteint en plein cœur. Une larme s'est échappée de mes yeux en lisant ce texte.

Ressentir des émotions fortes devant un texte (rire, pleur, colère,...) , à travers l'histoire et les personnages montre la qualité de l'écriture.

L'auteur à réussi son coup. Transmettre de l'émotion par les mots c'est quand même beau.